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Lieu : Ioannina, Épire, Greece

17 juillet 2006

De la Normandie à la Grèce...

J’avais déjà pas mal roulé ma bosse dans le monde, partagée entre voyages (Europe, États-Unis, Algérie, Chine…) et longs séjours de plus d’un an à l’étranger (Angleterre, États-Unis et Allemagne). Mais comme le disait si bien un ami canadien, «les pieds recommençaient à me démanger» depuis quelque temps. Je cherchai alors à quelle langue je pourrais bien m’attaquer. J’envisageais de demander une bourse Erasmus pour partir un an en étudier une nouvelle quelque part en Europe. Après une longue hésitation entre le danois et le grec, et une mûre réflexion, j’optais pour le grec.

Non, ce n’est pas ce que vous pensez…! L’attrait des îles, la couleur de l’eau et la chaleur… J’ai horreur des bateaux, je ne raffole pas des bains de mer et je déteste la canicule! Mais alors, direz-vous, que diantre allait-elle faire dans cette galère? L’histoire, la culture et le peuple grecs ont influencé ma décision car nous devons beaucoup à la Grèce antique. Ayant appris le latin jusqu’au baccalauréat, je pensais que l’apprentissage du grec moderne me permettrait d’acquérir une meilleure connaissance de ma propre langue.

Me voilà donc, par un beau jour de l’été 1993, quittant ma Normandie natale, en route vers mon destin! Ce n’était pas la première fois que je partais mais cette fois-ci c’était différent. J’avais obtenu ma bourse Erasmus et je sentais au fond de moi qu’une page allait être définitivement tournée. Je ne savais pas ce qui m’attendait au bout du chemin (à part les gros efforts pour répondre au défi que je m’étais lancé), mais une petite voix me disait que je ne reviendrais pas de ce voyage. Elle ne s’était pas trompée… Nous voici en 2006 et je suis toujours en Grèce…!

Après un agréable voyage à travers la France et l’Italie jusqu’à Ancône et une interminable traversée jusqu’à Igoumenitsa (rappelez-vous, j’ai horreur des bateaux), j’ai enfin foulé le sol grec! Premier contact un peu décevant: arrivée dans une ville tout à fait quelconque, à minuit, difficultés pour trouver une chambre… et je ne parle pas la langue du pays à part «merci» et «s’il vous plaît». Bon, d’accord, je parle anglais, mais je ressens une impression bizarre en réalisant que je vais vivre ici pendant un an alors que je ne comprends pas un traître mot! Pas du tout le même effet que lorsque je partais en vacances pour me dépayser quelques semaines! Pas du tout le même effet non plus que lorsque je partais pour améliorer une langue que je maîtrisais déjà un peu!

Le but du voyage, pour l’instant, c’est d’atteindre Thessalonique en flânant en chemin pour y suivre des cours de langue intensifs pendant un mois. Après ça, direction Athènes et son université! Mais pour le moment, je me réjouis de visiter le pays en tant que touriste. Je me dirige vers Ioannina où je reste deux jours. J’en profite pour me rendre à Monodendri, dans les Zagoria, pour voir les gorges de Vikos. Ma petite voix reprend la conversation là où je l’avais laissée quelques jours auparavant pour me signaler que Ioannina est une étape très importante! Je continue la route pour Thessalonique en m’arrêtant à Metsovon, aux Météores et à Dion. Je pénètre enfin dans la capitale de la Macédoine grecque et me plonge pendant quatre semaines dans l’apprentissage du grec. Cours intensifs «à la grecque»! Je m’attendais à des cours vraiment difficiles et beaucoup de travail mais finalement j’ai du temps libre que je mets à profit pour visiter la ville le soir et la région le week-end. C’est ainsi que je découvrirai Kavala et le magnifique site archéologique de Philippi. À la fin de mon séjour, je peux dire quelques phrases en grec mais il y a encore du boulot en perspective! Je quitte Thessalonique pour Athènes en compagnie d’une Californienne et d’une Néo-Zélandaise rencontrées à l’université. Elles veulent se rendre en Attique et je leur propose un «lift» avec une pause pour visiter les Météores que j’avais boudés à cause de la canicule un mois plus tôt. Deux heures d’attente en plein soleil, très peu pour moi! Comme je savais que j’y repasserais pour me rendre à Athènes, je les avais laissés derrière moi sans regret.

Mi-septembre, et j’arrive enfin au pied de l’Acropole. Pour le début, l’université nous a trouvé une chambre d’hôtel (pas terrible) dans le quartier d’Omonia. J’y reste quelques jours, le temps de trouver un appartement décent. Je suis contente de moi car j’en déniche un (grâce à une Française qui promenait son chien sur le «périphériako» du Lykabette! Et pas cher!!! Seulement 120.000 drachmes (l’équivalent à l’époque de 2.400 francs) par mois en plein cœur d’Athènes, dans un quartier «chic» pour un deux/trois pièces meublé avec vue sur le Lykabette! Là, j’ai forcément raisonné avec mes connaissances françaises. 2.400 francs pour un tel appart, pas cher du tout! Imaginez la même chose dans le XVIe! Oui, sauf que là, j’étais en Grèce et qu’à l’époque les prix étaient beaucoup plus bas qu’en France. La petite Française, on l’avait vue débarquer et on comptait bien la tondre! J’ai commencé à réaliser que je m’étais fait avoir quand j’ai fait connaissance de Grecs qui me demandaient combien je payais pour mon appartement. Les Grecs vous posent toujours plein de questions déconcertantes: «combien tu paies ton loyer?», «es-tu mariée?», «pourquoi tu veux apprendre le grec?» et des dizaines d’autres questions toutes plus indiscrètes les unes que les autres! Bon, on s’y fait, mais c’est déroutant au début. Bref, j’ai donc compris que je me faisais gentiment arnaquer! J’ai finalement trouvé un autre appart (un deux pièces pas meublé cette fois-ci), pas le luxe mais 45.000 drachmes! En plus, je suis à dix minutes à pied de l’Acropole et de Plaka en terrain plat alors qu’avant il fallait que je me tape la montée des escaliers le long de la colline pour arriver chez moi!

La première année m’a replongée dans les délices estudiantins: les cours à la fac pour terminer ma licence d’anglais, la bibliothèque et les livres, les cours du soir pour le grec… Par contre, je suis déroutée par la façon dont les cours sont dispensés. On doit apprendre par cœur ce que le prof nous enseigne (bon, jusque-là rien de nouveau, c’est malheureusement la même chose chez nous). Mais là où je tombe de haut, c’est quand en cours de littérature allemande (quatrième année) le prof fait le cours en grec! Une première fois, je lui demande gentiment si l’on peut enchaîner en allemand car je ne parle pas encore le grec (nous sommes en octobre) et je me suis inscrite à son cours pour maintenir mon niveau d’allemand. «Ja, ja, sicher!» me répond-elle en continuant ses explications dans la langue de Goethe, sauf qu’à la première intervention d’une étudiante qui pose une question, elle repasse joyeusement en grec. J’ai insisté plusieurs fois pendant les premiers cours puis en désespoir de cause, j’ai abandonné le cours. Quand j’ai annoncé au prof que je quittais son cours, elle m’a finalement expliqué pourquoi elle était obligée de procéder ainsi. «La plupart des étudiants, m’a-t-elle confié, sont incapables de comprendre ce que je dis en allemand ni de formuler leurs idées dans cette langue.» En niveau licence, bravo! C’est ainsi que j’ai laissé tomber l’allemand!

Ce qui avait le don de m’exaspérer, au début, c’est que lorsque je m’adressais en grec à quelqu’un, on me répondait en anglais! J’ai fini par déclarer que je ne parlais pas l’anglais à chaque fois que l’on me répondait dans la langue de Shakespeare! On me regardait alors bizarrement. Ah! ces Français! Ils viennent apprendre le grec et ils ne connaissent même pas l’anglais! Au bout d’un an, je commençais à me débrouiller pas trop mal en grec, mais il me fallait une deuxième année pour approfondir mes connaissances. Ma bourse Erasmus était pour un an. Il fallait donc que je trouve un travail si je voulais rester. Bon, je ne vous ai pas tout dit… Je ne suis pas seulement tombée amoureuse du pays…! Je décidai donc de chercher du travail. J’en trouvai dans un petit magasin pour touristes comme il y en a des dizaines dans Plaka. Je rentre dans le premier sur mon chemin et je demande s’ils ont besoin d’une vendeuse qui parle trois langues et commence à maîtriser un peu le grec. Nous sommes au mois de juin et c’est le début de la période touristique. La propriétaire me dit qu’elle a effectivement besoin de quelqu’un mais elle ajoute: «Si je te donne le boulot, tu restes tout l’été ou tu continues à chercher quand même un autre travail?». Là, je suis sidérée… elle a du flair ou elle lit dans mes pensées? Je n’hésite cependant pas un seul instant et lui réponds du tac au tac: «Je cherche en effet du travail plus durable et si l’on m’offre quelque chose de sûr, alors je vous quitterai». Sa réponse ne se fait pas attendre: «Tu commences demain»! Horaire: 9 :00 – 17 :00 non-stop. Elle m’a déclaré longtemps plus tard qu’elle m’avait embauchée à cause de ma réponse qui lui a prouvé que j’étais honnête! Si je lui avais menti, pensant ainsi obtenir le boulot, eh bien je ne l’aurais pas eu!!! Finalement, je suis restée chez elle un an et nous sommes devenues amies. Elle a vraiment été formidable et m’a gardée même en saison morte car elle savait que je n’avais rien trouvé d’autre. Ça, c’est le côté fantastique des Grecs. Même au cœur de la capitale, même dans le quartier le plus touristique d’Athènes, les gens ont le cœur sur la main. Lorsque j’ai enfin trouvé un boulot de lectrice-correctrice dans une maison d’édition, on a arrosé ça! Par la suite, j’ai également enseigné le français en cours du soir à l’Institut français d’Athènes, ce qui m’a permis de continuer à l’annexe de Ioannina quand je suis venue vivre dans cette magnifique région. Depuis, elle a été malheureusement fermée car elle n’était soi-disant pas assez «rentable»! Désormais, les petits Grecs de Ioannina sont obligés d’aller dans des écoles privées en cours du soir s’ils veulent apprendre le français! Bravo la francophonie et tous ses beaux discours côté scène… Côté coulisses, c’est surtout une sombre histoire de gros sous! Finalement, nos gouvernements n’en ont rien à faire de la francophonie si elle ne rapporte pas son pesant d’or!